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L’ylang-ylang, une fleur envoûtante par Ange Zola

L’ylang-ylang, une fleur envoûtante par Ange Zola
Article paru dans les les Nouvelles de l’Osmothèque n°61 en juin 2013:

L’ylang-ylang, une fleur envoûtante.

Si, comme on le dit couramment à Grasse, le jasmin est « La Fleur », l’ylang est « La Fleur des Fleurs », comme l’appellent les Indonésiens.

Ne considère-t-on pas l’huile essentielle d’ylang comme la petite soeur de l’absolue jasmin ? En effet, la ressemblance, toutes proportion gardées, est due à la présence de composés aromatiques communs, dont un qui est majoritaire dans ces deux matières premières : l’acétate de benzyle. Dans la palette du parfumeur, l’ylang est associé aux prestigieuses matières premières que sont la rose, le jasmin, le néroli et le vétyver.
Tout d’abord, une précision s’impose pour éviter toute confusion : l’HE d’ylang est très souvent confondue avec celle du cananga ; en effet, les deux sont issues du Cananga Odorata, mais l’ylang est la forma Guenina, tandis que le cananga est la forma Macrophylla. La différence réside dans des feuilles considérablement plus larges dans le cas du cananga, d’où cette appellation de « macrophylla ». De plus, si l’ylang est très riche en composés oxygénés qui font la richesse de cette HE (acétate de benzyle, linalol, méthyl para cresol, benzoate de benzyle, salicylate de benzyle, géraniol), l’HE de cananga est très riche en sesquiterpènes, olfactivement moins riches que les composés oxygénés (germacrène, farnésène, caryophyllène, absence d’acétate de benzyle), ce qui se traduit par une odeur plus âcre, plus brûlée, se rapprochant de l’ylang III de composition très voisine. De plus, le cananga n’est cultivé qu’à Java.

L’ylang appartient à la famille des Annonacées et pousse principalement aux Comores (Anjouan), à Madagascar (Nossy-Bé), et à Mayotte. Son origine est toujours très controversée. Les premières plantations datent des années 1920 et, si l’île de la Réunion a été l’une des premières à cultiver cette fleur, elle a préféré ensuite se tourner vers la production de vétyver et de géranium dont la production a pratiquement disparu à cause, principalement, des coûts de main d’oeuvre très élevés.

L’année 1990 a marqué un record important des importations en France ; depuis cette date, la consommation a très sensiblement baissé. Les raisons de cette baisse sont de plusieurs ordres : prix à la hausse, justifiant la part grandissante des produits de synthèse dans la formulation ; problème de qualité des fractions hautes de cette HE, très souvent falsifiées ; dégradation des alambics en cuivre ou en fer, particulièrement sensibles à la chauffe à feu nu ; absence d’un suivi technologique de qualité.
La production est ainsi passée de 120-130 tonnes en 1980 à 70 tonnes aujourd’hui aux Comores et à Madagascar, et de 30 tonnes à moins de 1 tonne à Mayotte.
L’arbre à l’état naturel peut mesurer jusqu’à 30 mètres ; pour faciliter la cueillette des fleurs par les femmes et les enfants, on l’étête, tous les 3 mois, à environ 2,50 m, ce qui permet aux branches de s’étaler à l’horizontale en forme de parapluie, et également peut produire jusqu’à 5 kg de fleurs par an, et peut vivre jusqu’à 70 ans en étant toujours productif.
Les fleurs poussent en grappes de 2 à 20, en forme de grandes étoiles, et passent de la couleur verte à la couleur jaune à maturité. La production florale a lieu toute l’année, avec deux pointes importantes : la saison sèche, de mai à novembre, et la saison pluvieuse, pendant lesquelles on ramasse les fleurs respectivement tous les 10 à 15 jours et tous les 20 à 30 jours.
La récolte, comme pour toutes les fleurs fragiles, se fait très tôt le matin et se termine vers 9-10 h. Les fleurs sont rapidement acheminées vers la distillerie et stockées dans des paniers en lianes tressées, pour éviter la fermentation qui détériorerait la qualité de l’HE.
Les alambics et le contrôle de la distillation sont très rudimentaires : alambics en cuivre ou en tôle galvanisée, foyer à feu nu, petits alambics de 500 litres ne permettant la distillation que de 50 kg à la fois. Les fleurs baignent dans l’eau en ébullition, sans grille pour les empêcher de tomber au fond de l’alambic, ce qui leur fait subir de plein fouet l’intensité du feu.
La distillation se fait d’une façon empirique : bien que les différents « grades » de qualité, comme on le verra plus loin, soient vendus en fonction de leur degré d’intensité, les distillateurs séparent les fractions au fur et à mesure de la distillation, en fonction du nombre de petites bouteilles de 50 ml obtenues, ou du temps de distillation.
Paradoxe pour la distillation de cette fleur fraîche : elle dure de 15 à 20 heures, ce qui rend nécessaire la présence d’un opérateur pendant tout ce temps, qui doit maîtriser tous les paramètres.
Les premiers distillateurs ont pu observer la richesse olfactive des premières fractions récupérées dans l’essencier, qui s’appauvrissent peu à peu jusqu’à perdre les notes fleuries envoûtantes du début de la distillation.
D’où l’originalité encore de cette HE qui est la seule à subir un fractionnement au cours de sa distillation : mesure de la densité, remplissage de petits flacons, durée de distillation en sont les éléments déterminants.

Au cours des deux premières heures, on va ainsi récupérer l’HE d’ylang extra, puis la 3e heure l’ylang Ier, puis jusqu’à la 6e heure l’ylang II et enfin, jusqu’à la fin de la « cuite », l’ylang III.
Depuis quelques années, une petite fraction de tête, distillée la première heure, peut être récupérée au détriment de l’ylang extra, et constitue l’ylang extra supérieur.
De même, si on distille sans fractionnement, comme dans une distillation classique, on récupère l’HE d’ylang complète.
Autre paradoxe de cette HE : contrairement à toute logique physico-chimique, les portions d’HE les plus lourdes sont distillées en premier ! Une des explications qu’on pourrait avancer serait la formation initiale d’un azéotrope entre la vapeur d’eau et les produits oxygénés, permettant leur récupération en tête de distillation.
Les fractions majoritairement récupérées aux Comores et à Mayotte sont l’extra et le IIIe ; à Madagascar, on récupère peu ou pas d’extra, mais du I, du II et du III.
L’HE d’ylang a une odeur forte, envoûtante, à mi-chemin entre le jasmin et la tubéreuse. Elle est utilisée dans les bouquets floraux, et plus particulièrement dans les bouquets de fleurs blanches, les floraux orientaux, où elle se marie bien avec les notes vanillées originaires de ces mêmes pays.
De nombreux parfums contiennent cette HE : elle a été rendue célèbre par Bois de Iles de Chanel en 1926 et par Joy de Patou en 1935. Elle est très présente dans Loulou (1986) de Cacharel, Samsara (1989) de Guerlain, Ysatis (1984) de Givenchy, Coco (1984) de Chanel, Poison (1985) de Dior, Organza (1996) de Givenchy et bien d’autres encore…
Le développement d’une filière Bio très à la mode aujourd’hui permettra-t-elle aux jeunes parfumeurs de se réapproprier cette HE ? Issue d’une fleur hypnotique et envoûtante, l’HE d’ylang-ylang restera toujours cette petite merveille du monde olfactif qui enrichira la palette du parfumeur.

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