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LE SANTAL : Lorsqu’un bois précieux devient parfum
La simple évocation du bois de santal fait surgir aussitôt dans notre imaginaire les effluves des bâtonnets d’encens enrobés de pâte de santal qui brûlent dans les temples hindous et bouddhistes, cette senteur si singulière qui nous transporte en Asie.
Le santal, dont le nom botanique est Santalum Album, L., de la famille des Santalacées, appelé aussi «bois de santal des Indes Orientales» depuis l’époque coloniale, appartient à la catégorie des arbres à parfum ou bois aromatiques tels que le bois de rose, le cannelier (dont l’écorce est la cannelle) et les cèdres.
Le mot santal est dérivé du sanskrit Chandanam, sandanam en tamoul. Connu depuis plus de 4000 ans par d’anciens textes sanskrits et chinois, le bois de santal vient d’un petit arbre originaire d’Asie tropicale, et plus particulièrement du sud de l’Inde, endémique également au Timor oriental. Il était utilisé dans l’Egypte ancienne pour l’embaumement des momies tandis que les musulmans de l’Inde, lors de la cérémonie funéraire, le brûlent dans un encensoir placé aux pieds du défunt afin d’élever son âme. En Inde, la crémation au bois de santal est désormais exceptionnelle en raison du prix et de la rareté de cette matière première.
Origine et implantation
Le santal indien pousse principalement dans les forêts sèches du Kérala le long des Ghats occidentaux, notamment la forêt naturelle de santal de Marayur, et dans l’état du Karnataka, où se trouve la variété la plus réputée : le santal de Mysore. La ville elle-même est entourée de forêts de santal et de bois de rose.
Aujourd’hui, des plantations de bois de santal de bonne qualité se trouvent également dans l’état du Tamil Nadu, non loin de Chennai (Madras). De plus, la variété indienne est depuis une décennie cultivée à grande échelle en Australie occidentale. L’Australie produit également le Santalum spicatum, une espèce qui donne une essence considérée comme de moins bonne qualité, d’odeur plus résineuse et fumée, moins chère et moins prisée en parfumerie fine que le santal indien
La Nouvelle Calédonie produit une espèce différente du Santalum album de l’Inde qui est le Santalum austrocaledonicum, assez proche qualitativement du santal indien. Cette espèce existe de façon endémique en Nouvelle Calédonie et dans l’archipel du Vanuatu. L’huile essentielle qui en est extraite a un arôme extraordinaire avec une odeur boisée qui en fait une excellente note de base dans les parfums et les mélanges cosmétiques.
Pour faire face à la demande croissante de ce bois devenu rare, de nouvelles plantations ont été créées dans l’état du Tamil Nadu au siècle dernier. En effet, le santal a été très utilisé depuis le XVème siècle, tant en architecture pour la construction et la décoration de nombreux temples, la confection d’objets précieux et d’icônes religieuses qu’il parfumait naturellement, qu’en médecine pour soigner les maux d’estomac et les affections dermatologiques en raison de ses vertus désinfectantes, antiseptiques et régénérantes.
Le bois de santal, du fait de sa densité et de sa dureté, a été utilisé également en Chine, au Népal et au Tibet pour les sculptures des temples et monastères. Il est actuellement très recherché par les Chinois pour créer des pièces de mobilier. En Europe, son apparition remonte à la présence arabe en Espagne : le fameux cuir de Cordoue était parfumé au santal.
Aujourd’hui, le santal en Inde est une espèce botanique en danger et le gouvernement indien applique depuis quelques années un contrôle strict sur l’abattage des arbres et l’exportation du bois ; celle de l’huile essentielle en parfumerie fine est très limitée également, avec de très gros risques d’adultération qui expliquent d’ailleurs le désintérêt des parfumeurs pour cette origine.
L’arbre et l’huile essentielle
Actuellement cultivé en vastes exploitations, le santal est un arbre hémiparasite pendant la première étape de sa croissance. La jeune pousse de santal puise ses éléments nutritifs dans les racines d’autres espèces d’arbres, y compris celles de ses propres congénères, par un mécanisme de succion situé sur ses racines, toutefois sans grave préjudice pour ses hôtes.
C’est un arbre de 8 à 12 mètres de haut qui peut vivre jusqu’à 100 ans. Ses feuilles persistantes sont ovales, d’un vert brillant, et ses nombreuses petites fleurs sont jaune paille évoluant vers le rouge. Celles-ci ne dégagent pas de parfum particulier. L’arbre produit des fruits au bout de trois ans et les semences sont dispersées par les oiseaux.
L’écorce brune ou rouge sombre protège un cœur de couleur vert pâle ou blanc, d’où son nom botanique (s. album). Sur les arbres très âgés, le cœur est jaune.
Il faut environ 30 ans et une circonférence supérieure à 50cm pour que le santal parvienne à sa taille idéale avant d’être réduit en copeaux et distillé. Les arbres sont alors déracinés afin d’extraire les précieuses essences contenues dans tout le bois de l’arbre, même les racines sont distillées. La qualité de l’huile sera fonction de l’âge de la coupe.
Pour une qualité véritablement supérieure, l’extraction est réalisée à partir de rares sujets âgés de plus de 60 ans. Dans ce cas, le prix de l’huile atteint des sommets. Pendant que l’arbre croît, l’huile essentielle se développe dans les racines. Le noyau du duramen foncé se développe graduellement. Puis l’arbre est déraciné pendant la saison des pluies quand les racines sont le plus riches en huile essentielle précieuse.
L’huile de bois de santal extraite par distillation à la vapeur d’eau des copeaux de bois et des racines réduits en poudre fine, procédé qui permet d’obtenir une huile de grande qualité.
L’huile essentielle de santal la plus réputée provient de la province de Mysore. C’est celle qu’utilisent depuis longtemps les maisons Guerlain, Chanel et Hermès. L’Inde assurait jusqu’à 70% de la production mondiale de l’espèce Santalum Album.
En raison de la rareté croissante du bois aromatique indien, le prix mondial de l’huile essentielle est monté récemment jusqu’à 2200 US dollars le kg. Selon des chiffres de 2012, la tonne de bois de santal indien coûterait 7 fois plus cher que celle venant d’Australie. La production annuelle de la variété endémique de bois indien contrôlée quasi exclusivement par les gouvernements des états du Karnataka et Tamil Nadu serait de 400 tonnes. Le bois de santal est la deuxième espèce de bois la plus chère du monde derrière l’acajou de Cuba. C’est pourquoi l’essence de santal est appelée « l’or liquide », en raison de son coût, de sa nature précieuse et de ses qualités olfactives : parfum suave, balsamique, lacté, d’une douceur et d’une ténacité remarquables.
Pour le Santalum album, 1000 kg de bois sont nécessaires pour obtenir 45 à 50 litres d’huile essentielle. Pour le Santalum Spicatum, il en faut 2500 kg.
Chimie aromatique
L’huile essentielle de santal Mysore est limitée pour ne pas dire presque introuvable aujourd’hui. La production de cette huile « sacrée » est quasiment réservée à la consommation locale, elle ne fait plus l’objet d’exportations. Devant cette pénurie, les départements de recherche et développement des grandes sociétés de composition de parfumerie se sont penchés depuis longtemps sur le problème et ont mis au point des molécules de remplacement du santal naturel. La première molécule de substitution a été le Sandela, découvert fortuitement chez Givaudan en 1947. Dans les années 70, les plus courantes
étaient le Sandalore de Givaudan et le Bagdanol d’IFF. Leur rôle, dans les formules, était de soutenir l’huile essentielle de santal qu’on utilisait déjà avec parcimonie. Les chimistes, voulant toujours repousser les limites de leurs travaux, ont mis au point d’autres molécules encore plus puissantes comme le Polysantol de Firmenich dont la première utilisation se trouve dans Samsara de Guerlain, sorti en 1989 (très beau travail de Jean-Paul Guerlain qui a mis la note Santal comme pièce centrale de son parfum (26% de la composition !). Plus récemment encore, Givaudan a proposé une molécule d’une puissance inouïe avec son fameux Javanol. Un seul bémol à tout ce travail : la puissance olfactive est au rendez-vous mais la richesse de la note du santal Mysore n’est toujours pas égalée. En effet, la facette moelleuse,
laiteuse de cette huile essentielle prodigieuse, ne se retrouve, selon les parfumeurs, dans aucune des molécules citées.
Les principaux constituants chimiques du santal sont l’alpha et le beta-santalol, les santalènes, et divers sesquiterpénols. Une HE de santal de bonne qualité doit contenir au moins 75% de santalol. Comme le montrent les travaux des chimistes développés dans les sociétés citées précédemment, on a tenté de synthétiser l’essence de santal mais avec des résultats approximatifs, le principal élément constitutif – le santalol – étant difficile à tirer d’autres matériaux de base. Cependant, la biotechnologie offre peut-être des perspectives prometteuses.
L’empreinte du santal enrichit quelques fameuses créations olfactives
Dans la composition d’un parfum, l’essence de santal est généralement utilisée en note de fond comme le vétiver, la myrrhe, la fève tonka ou le ciste labdanum (ambre).
Les parfums de type Boisé sont construits autour de notes chaudes et sensuelles comme celles du patchouli et du santal et celles, plus sèches, du bois de cèdre et du vétiver. Le santal est largement employé en parfumerie car, utilisé en faible quantité, il est un excellent fixateur et permet de capturer les arômes de tête des autres huiles essentielles.
Traditionnellement associé aux parfums masculins, le santal est désormais utilisé dans les parfums féminins pour apporter une note boisée ou renforcer certaines notes poudrées.
Quelques créations emblématiques :
Le plus significatif parmi les grands parfums demeure à ce jour :
SAMSARA de Guerlain 1989, signé Jean-Paul Guerlain, Ambré Fleuri Boisé, premier parfum de la marque composé de santal et ce, en dosage très élevé, rehaussé d’autres notes santalées comme le polysantol, associé au jasmin et à l’ylang-ylang, Le créateur s’est rendu lui-même en Inde à la recherche du meilleur santal car il avait besoin d‘énormes quantités de ce bois précieux pour fabriquer Samsara.
ARPÈGE de Lanvin 1927, un Fleuri aldéhydé signé André Fraysse.
Il contiendrait, dit-on, une soixantaine de composants qui s’épanouissent dans l’un des plus beaux parfums du monde dont le sillage se fait voluptueux dans la vanille, le patchouli, le vétiver et le bois de santal.
CALÈCHE d’Hermès 1961, Chypre Fleuri aldéhydé, un riche accord chypré, rehaussé par un fond vétiver d’Haïti, cèdre et santal de Mysore, qui a contribué au grand succès de ce parfum signé du parfumeur Guy Robert.
1000 de Jean Patou 1972, créé par Jean Kerléo, est un grand Bouquet Floral qui s’épanouit grâce à un dosage significatif d’huile de santal.
SUBLIME, autre création de la maison Patou 1992, signée Jean Kerléo, Floriental, une fragrance orientale élaborée sur fond de santal des Indes.
LACOSTE ORIGINAL de Lacoste, 1984, signé Jean Kerléo, est un Fougère Aromatique également composé de santal des Indes.
JOOP !FEMME de JOOP! 1987, créé par Michel Almairac, Oriental Boisé, offre une fragrance fraîche au départ qui révèle peu à peu une signature sensuelle et orientale grâce au bois de santal et fève tonka en notes de fond.
Joop! est le premier parfum féminin de Wolfgang Joop, un des grands noms de la mode allemande.
JAZZ de YSL 1988 , un masculin signé J.F. Matty, Boisé Aromatique
Des notes de tête épicées sur un accord de fond santal, cuir et ambre.
EGOÏSTE de Chanel, 1990, Boisé Epicé, créé par Jacques Polge. Le créateur parfumeur a décidé de retravailler la formule de Bois des Iles d’Ernest Beaux (1926) pour créer un parfum masculin complexe et élégant sur un accord boisé qui s’appuie sur le santal, la vanille intense et le tabac parmi les notes de fond. Le concept publicitaire spectaculaire qui a accompagné son lancement a contribué au succès commercial d’EGOÏSTE.
SANDALO de Lorenzo Villoresi 1995, Oriental Boisé, une fragrance riche et précieuse inspirée de la tradition indienne, à base de santal de Mysore. L’embrasement (? )des bois aromatiques et de la sève des arbres.
COOL WATER de Davidoff ,1997, Fleuri Boisé, signé Pierre Bourdon, un féminin à l’accord floral jasmin muguet rehaussé par une note de fond santal et vétiver.
JAÏPUR Homme de Boucheron,1997, un Boisé Epicé signé Annick Menardo (de l’ISIPCA) avec santal, musc et fève tonka en notes de fond.
ORIGINAL SANTAL d’Olivier Creed 2005, un Oriental Boisé avec le santal indien en note de tête.
SANTAL MASSOÏA d’Hermès, 2011, signé Jean-Claude Ellena, un Boisé Floral mixte pour la collection Hermessence, un boisé exotique, aérien, composé d’un accord floral en note de tête et de bois de massoïa et de santal en notes de cœur (le Massoïa est un arbre rare et protégé qui pousse en Indonésie et c’est de l’écorce qu’on extrait l’huile essentielle).
SANTAL EXOTIC de the Exotic Island Perfumer, 2013, créé par Juan Perez, Boisé Oriental.
Un bouquet d’huiles essentielles de santal de Mysore, Nouvelle Calédonie et Hawaï en notes de fond pour une fragrance à la fois laiteuse et épicée résolument orientale.
SANTAL ROYAL de Guerlain, 2015. Oriental.
Avec cette fragrance aux accords orientaux boisés (santal et oud), sur des notes fruitées et fleuries, Guerlain magnifie le santal qui nous fait voyager dans les pays chauds.
Thierry Wasser, parfumeur maison, a puisé son inspiration au cœur de l’Orient en construisant sa composition autour de cette matière première précieuse.
Parmi les créateurs de parfums de niche, Serge Lutens a montré un intérêt particulier pour ce bois aromatique qu’est le santal avec trois fragrances signées Christopher Sheldrake, célèbre créateur parfumeur britannique né à Madras :
– SANTAL de MYSORE en 1991, Boisé, une eau de parfum mixte qui donne à sentir un santal à la fois lacté et épicé, opulent et gourmand.
– SANTAL BLANC, 2001, Chypre boisé, un accord bois et épices pour une fragrance très intense et multi-facette. « Un cristal poivré qui tient tête. On le retient. » dit Serge Lutens.
– SANTAL MAJUSCULE en 2012, Oriental Boisé, le bois gourmand chaleureux et enveloppant, une eau de parfum mixte avec rose et santal en notes de cœur.
SACREBLEU INTENSE, 2008, de Patricia de Nicolaï, Oriental Epicé Une eau de parfum résolument féminine composée de notes de tête fruitées sur un accord floral d’œillet et de jasmin enrichi par un fond de santal, fève tonka et benjoin pour créer une fragrance orientale très originale.
Cité depuis l’Antiquité dans la littérature indienne, le santal, offrant une fragrance chaude et boisée, est considéré comme un arbre sacré, un don des dieux. Dans les textes mythologiques, le santal était gardé par des serpents dont le venin mortel avait pour antidote la fragrance de l’arbre. La symbolique spirituelle liée à la qualité olfactive de ce bois aromatique a donné naissance à un proverbe indien que retiendra l’amateur de parfums :
«L’homme vertueux doit imiter l’arbre de santal qui, lorsqu’on l’abat, parfume la hache qui le frappe ».
Catherine Bala pour l’Osmothèque
Catherine Bala pour l’Osmothèque