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Conférence donnée le 7 octobre 2014 par Nicolas Olczyk (Rouge Curacao), et rééditée le 10 février 2015.
La Société des Amis de l’Osmothèque organise cette année un cycle de conférences sur le thème : « Le Parfum à l’épreuve des 5 sens ». Nicolas Olczyk a analysé la relation forte entre odorat et goût.
Le thème gourmand est toujours très présent dans la parfumerie. Aux Victoires de la Beauté, des prix ont été décernés à un gel douche à la barbe à papa, une huile cosmétique à la banane, un masque caramel et argan… Et le parfum gagnant a été Repetto (fruité, vanillé). Mais se limiter au seul registre sucré est réducteur. L’intérêt actuel pour la cuisine est d’ailleurs une tendance très forte. A ce sujet, Nicolas conseille la lecture d’un hors-série de « Courrier International », titrant « La gastronomie, nouvelle religion planétaire ».
1 – Des liens très forts entre le goût et l’odorat…
Mais des différences aussi. Leurs métiers sont proches mais l’aromaticien essaye de reproduire au mieux la nature, quand le parfumeur s’en éloigne. Nicolas a présenté « Aromafork » : cette fourchette est poreuse et une pipette permet d’y insérer un parfum qui va tromper le goût. Insolite toujours : des produits à ingérer permettant de parfumer la peau. Les Japonais proposent des chewing-gums ou des gélules à avaler (type Oenobiol) qui permettent de sentir bon. Le principe odorant traverse la peau et rejoint l’aroma-cosmétique. L’artiste Lucy McRae a, elle, imaginé une vidéo onirique où le parfum à ingérer interagit avec le corps. La gestuelle devient cosmétique. On peut rappeler qu’en 1370, Elisabeth se parfumait et… buvait son « Eau de la Reine de Hongrie » (au romarin). De même, Napoléon se frictionnait et buvait sa célèbre Eau de Cologne.
2 – Angel, précurseur des parfums gourmands
En 1992, Angel a donné naissance à la famille des orientaux-gourmands. Il a aujourd’hui de nombreux concurrents, plus modernes. Au printemps 2014, le lancement d’ Angel Eau Sucrée, en édition limitée, était accompagné d’un éclair, vendu pendant trois semaines chez Fauchon.
La conférence nous a appris aussi qu’avant Angel, il y avait eu d’autres incursions gourmandes dans les parfums.
3 – Echanges féconds entre la cuisine et la parfumerie
En 2012, La Vie est Belle de Lancôme et La Petite Robe Noire de Guerlain (accord cerise) ont relancé la tendance gourmande. Parmi les nouveautés sucrées, on peut citer : Sweet de Lolita Lempicka (accord cerise-cacao), Bonbon de Viktor & Rolf (accord floral, fruité, caramel), Black Opium d’YSL (départ café), mais aussi Jeu d’Amour de Kenzo et Anaïs Anaïs Premier Délice de Cacharel.
Les hommes apprécient également les accords gourmands. Quelques exemples de produits récents : L’Homme Idéal de Guerlain (amande), Only the Brave Wild de Diesel (noix de coco), Kenzo Homme Night (mangue et effet coco). La tendance fruitée-gourmande est accrue pour les déodorants et les gels douche – où la noix de coco rencontrait déjà un certain succès auprès des hommes (ex : Tahiti). Mais une étude de Marmiton conclut que les hommes préfèrent cuisiner le salé que le sucré.
Signes de ce lien renouvelé entre le goût et l’odorat, les collaborations entre cuisiniers, pâtissiers et parfumeurs sont à la mode. Pierre Hermé et Jean-Michel Duriez, parfumeur-créateur de Rochas, ont édité le livre de recettes « Au cœur du goût « (on y trouve, par exemple, une tarte à la pêche, à la rose et au cumin, inspirée de Femme de Rochas). Anne-Sophie Pic a créé des menus avec Philippe Bousseton, de Takasago. On a pu aussi découvrir les échanges entre parfumeurs, sommeliers et maîtres de cocktail. Ces collaborations stimulent la créativité des marques et des parfumeurs.
De fait, certains accords gustatifs inspirent les parfumeurs. En 2013, la rencontre entre Jean-Claude Ellena et le chef Olivier Roellinger a donné naissance à Epice Marine d’Hermès : ici, point de sucre, mais beaucoup de saveurs.
La tendance actuelle qui réclame « moins de sucre » a engendré des parfums autour de vanilles peu sucrées, comme Vanille 44 de Le Labo (Alberto Morillas). L’Heure Défendue de Cartier a, elle, été composée par Mathilde Laurent autour d’un cacao amer. Le gourmand cède ainsi la place au gourmet.
Les consommateurs veulent d’ailleurs de nouvelles notes. Il faut repenser le fruit, en travaillant autour de fruits cuits ou de notes peu utilisées, comme le raisin. II faudrait peut-être oser davantage les légumes. Le potiron et le potimarron, par exemple, sont représentés aux USA dans des lignes parfumées pour le corps.
La cuisine d’ailleurs est une autre source d’inspiration. Chez IFF, Domitille Bertier a travaillé l’edamame, issue de la cuisine japonaise (ce sont des fèves immatures de soja, encore vertes, appréciées à l’apéritif et en accompagnement) pour B. Balenciaga. Son accord floral, musqué, boisé, vert est magnifique. Cette réussite est à souligner car il est difficile de lancer des notes créatives ‘salées’ qui soient portables : la mise en avant de la note caviar dans Womanity de Mugler, par exemple, n’a pas convaincu.
Certaines grandes sociétés de parfumerie poussent leurs parfumeurs à rechercher des mariages créatifs. Givaudan a fait travailler les siens sur le vétiver. Nicolas nous a fait découvrir l’accord « Akasan » haïtien de Shyamala Maisondieu qui pourrait inspirer un masculin gourmand.
Il serait intéressant aussi de faire davantage collaborer les aromaticiens et les parfumeurs. Nicolas nous a présenté un accord tiramisu (café, chocolat, liqueur), adapté d’une formule d’aromatique alimentaire légèrement remaniée par des notes de vanille et de benjoin. Le résultat est très segmentant pour un parfum… Peut-être pour un parfum d’ambiance ?
Loin du seul thème gourmand, parfois décrié par les blogueurs, la rencontre entre goût et odorat nourrit finalement aussi l’inspiration des parfumeurs.
Caroline de la Taille
Blog de Nicolas Olczyk : www.parfums-tendances-inspirations.com